Bonjour petites flèches !

« Le roman fantasy, c’est pour les enfants ». Si vous êtes lecteur ou lectrice de ce genre, vous avez forcément dû l’entendre au moins une fois. Pourtant ce qu’on entend aussi énormément, ce sont les contre-arguments des plus amoureux du genre : « C’est riche et divers », « Ce sont des aventures qu’on ne vivra jamais », « C’est plus intelligent qu’il n’y paraît »… Et ils crient à l’injustice d’un regard biaisé et élitiste qui réduit le genre à des caractéristiques infondées. Alors où se situe vraiment le roman fantasy dans tout ça ? Est-ce toujours un genre mal vu ou au contraire est-il trop défendu ?
littérature le roman fantasy est-il surcoté

Un roman fantasy, c'est quoi, déjà ?

Alors bon, vous allez m’dire : « Ah oui, on en est là ? » Je répondrais que les plus férus savent évidemment ce qu’est la fantasy. Mais en vrai, la division des genres a toujours laissé de la marge pour l’interprétation, donc je voulais vous donner ce que moi j’entendais par ce terme.
  • un genre moins récent que veulent nous le faire croire certains plaidoyers déplorant le refus du nouveau. Ce n’est pas Tolkien qui l’a inventé. Dans les sagas nordiques, déjà, il était déjà question de nains descendus d’un pays légendaire et au Moyen-Âge, on mentionne toutes sortes de créatures. Au dix-neuvième siècle aussi, on parle de monde merveilleux et imaginaires, naît d’ailleurs le premier isekai occidental (Phantastes : a faërie romance for men and women). Comme aujourd’hui, mais j’en parlerai plus bas, cela répondait à un besoin d’émerveillement face à la réalité du monde.
  • un genre très divers : de la high fantasy à la dark fantasy en passant par l’urban fantasy, la low fantasy, la fantasy historique, la science fantasy (et j’en passe !), qu’on apprécie la douceur et la romance ou l’horreur, on peut être servi dans le genre. Finalement, je trouve une seule caractéristique qui permet de définir une silhouette à ce genre.
  • un monde qui n’est pas le nôtre (présent, passé ou futur, il est inventé dans une certaine dimension). Tout le reste peut varier. Bien sûr, la présence de magie, de créatures imaginaires, etc. peut être un trait qu’on retrouve, mais le contre-exemple serait la low fantasy, où il n’y en a généralement pas. Aussi, les thématiques, le type d’histoire peuvent être assez récurrents et permettre de saisir ce qu’est l’étrange genre de la fantasy, mais j’y reviendrai plus tard.

Mais alors comment ça se fait qu’un type d’histoire qui peut être si flou et part d’une base aussi fine peut-il plaire autant ?

Le genre qui prend les armes

Vous avez compris l’image ? Non mais parce qu’on parle de fantasy ! Du coup « prend les armes » c’est marrant ! Parce qu’il est souvent question de batailles ! Vous avez compris ? Bon ça va j’me tais ^^ Pour répondre à ma propre question (ouais je fais un monologue en même temps), c’est sûrement sa diversité qui rassemble autant de défenseurs. On trouvera dans un échantillon de cent lecteurs de romans fantasy autant de raisons de l’aimer. Bon, d’accord, les plus évidentes, les fameuses armes de la fantasy, seront communes à tout le monde :

Le roman fantasy permet l'évasion

Parlons-en. La raison même de la naissance du genre. Un autre monde que le nôtre ? Un monde utopique où on peut faire des choses incroyables ? Parfait. Le roman fantasy joue sur son monde inventé pour séduire. Et voilà que j’envoie de la magie, et voilà que j’te balance des elfes et des dieux, tiens, mange la beauté dans les dents et regarde-la être menacée, tu veux la sauver, pas vrai ? La fantasy est un genre qui accroche par cette tendance qu’a notre cerveau à aimer le beau, à vouloir s’amuser (on profite à travers l’aventure géniale de notre héros ou héroïne) et à chercher justice. Parce que oui. La fantasy, c’est pas juste joli. Ça défend des valeurs.

La fantasy transmet de beaux messages

Souvent, le deuxième argument le plus utilisé par les fans est que les romans fantasy sont pleins de beaux combats (moraux) qui prônent donc des valeurs d’amour de son prochain, de liberté, d’inclusion, de féminisme, enfin bref, des choses de woke ^^ et que faire lire ça aux jeunes ouvre leur esprit. Il n’est pas difficile de comprendre que J.K. Rowling nous dit d’aimer même les moldus (aka les nazis c’est mal, vous aviez la ref ?) et que Pullman invite les adultes à retrouver leur innocence et remet en question l’obscurantisme. On notera quand même les œuvres plus cyniques (salut G.R.R. Martin !)  qui se servent d’une intrigue détournée pour nous amener aux mêmes constats. La fantasy, c’est profond. Les adultes feraient bien d’en lire, tiens.

Un moment de détente

Moins stressant que l’horreur ou le thriller, généralement plus aventureux que la littérature blanche, quand on lit un roman fantasy, on accède plus facilement à un sentiment de repos. On se laisse transporter par un monde à l’univers riche, crédible même, où les gentils gagnent à la fin. Ça fait du bien. Caché derrière une montagne de transformations magiques, le message est quand même plus facile à avaler que si on lisait Guerre et paix. Et pourtant, franchement, on peut y trouver des similitudes. La fantasy a des arguments non négligeables, c’est clair. Non seulement capable d’émerveiller son lectorat, elle veut nous éveiller à certains problèmes, traduire dans son langage si imagé des pensées élaborées et positives. La valeur de la liberté, de l’égalité des êtres vivants, la guerre c’est pas bien, etc. Alors pourquoi les romans dans ce genre ont-ils tant de détraqueurs ?

Une bataille perdue d'avance ?

En tant, je vous le rappelle, que lectrice de roman fantasy moi-même (auteure de fantasy, même, oserais-je l’avouer ?), je voulais soulever quelques doutes.  Les reproches que l’on fait aux romans fantasy sont-ils vraiment si infondés ?

Les romans de fantasy sont mal écrits

Le voilà, le plus beau, le plus répandu des arguments contre la littérature fantasy.  Déjà, on pourrait poser la question de ce qu’est un livre bien écrit, mais on n’est pas dans un exercice de philo de quatre heures. Chacun son exigence et sa vision d’une bonne écriture (on part du principe que le souci n’est ni orthographique ni grammatical). Alors que reproche-t-on aux livres de fantasy ? Souvent : un style simple, basique (vous n’avez pas les bases), qui ne vaut pas nos plus grands auteurs. Il faut savoir que le genre de la fantasy est énormément plus développé dans la littérature anglo-saxonne et que les libraires ne s’embêtent pas souvent à chercher des auteurs français quand ils peuvent savoir qu’un Robin Hobb se vendra très bien. De fait, la littérature anglo-saxonne ne répond pas aux mêmes standards de style que la francophone, les phrasés sont différents, les descriptions bien moins importantes, la recherche moins poussée ; on se concentre sur l’action. Et en plus ils sont passés entre les mains de traducteurs aux méthodes diverses. Donc naturellement, quand on parle de roman fantasy, c’est à ça qu’on pense et, globalement, la fantasy en français ne répond pas aux attentes de nos amoureux du verbe francophone. Too bad. Pour ce qui est des auteurs francophones, c’est très variable. Outre certains Jaworski, dont on sent une inspiration plus « lettrée », j’ai bien peur qu’il faille avouer que beaucoup se contentent d’une action forte, sans s’embêter d’un style particulier. Ce n’est ni bien ni mal écrit, quoi. On me vantera probablement Bottero et sa poésie, mais Bottero est un auteur jeunesse, c’est poétique à 14 ans et après il y a un attachement émotionnel à l’œuvre. La découvrir adulte, ce qui est mon cas, remet un peu une perspective.

Les histoires fantasy sont cliché

Le fait est que les romans fantasy reposent sur énormément de traits communs, de schémas d’intrigue populaires qui rendent le genre si facilement distinguable des autres. Que ce soient les tropes les plus connus et haïs de tous, même des fans, style l’élu, le mentor, l’orphelin, etc. ou des tropes plus acceptés tels que la hiérarchisation des méchants, la naissance extraordinaire du personnage principal, le royaume en déclin, etc. le genre ne s’en cache même pas. Mais les lecteurs aiment, la plupart du temps, c’est familier, c’est rassurant. Dans un monde où l’on est balancé sans rien comprendre, où tout est nouveau et tout peut arriver, il n’est peut-être pas mal d’avoir quelques points de repère. Alors peut-on reprocher à un genre un des aspects qui, finalement, le définissent presque ? Malheureusement, oui. Le terme « cliché » est négatif. Il conclut déjà une réflexion. Que l’histoire que raconte un livre ne réinvente pas la roue, normal. A priori, tous les sujets ont déjà été abordés. En revanche, travailler sur une thématique vue et revue, sans rien y apporter, avec des messages déjà donnés et des personnages oubliables, ben ça, c’est un problème. C’est ça, un cliché. C’est pas parce que cette fois-ci c’est le peuple Sarvak (mot inventé au moment où j’écris) et pas les elfes que ça en fait un livre révolutionnaire ! Et je suis navrée, mais on en trouve encore trop en fantasy. Ça n’empêche pas de passer un bon moment, de déconnecter son cerveau et d’apprécier l’aventure. Mais pour les puristes, ce n’est pas un argument qui pèse dans la balance.

Les romans fantasy sont manichéens

L’opposition du bien et du mal, y a pas à dire, elle est très présente dans n’importe quel roman fantasy. Mais… c’est pas aussi le cas dans les polars, si appréciés de la bien-pensance ? Demandons à Jean-Pierre (qui a fait ses premiers pas >>ici<<), notre cher auteur de thrillers ! Jean-Pierre : Bah disons que dans un polar, t’as la police, elle voit un meurtrier, et elle veut l’attraper. Alors que dans la fantasy, t’as un héros ou une héroïne, ils voient un vilain, et ils veulent le tuer. C’est pas pareil. Merci, Jean-Pierre. Bon. Alors vous me direz, la tendance des polars, c’est de nous ficher des flics antihéros, à la limite de l’acceptable, mauvais parent, mauvais époux(se), ancienne racaille parfois, voire alcolo dans le présent. Et c’est vrai. Mais c’est une tendance qui s’étend à tous les genres. Après avoir eu besoin du héros parfait en tout point, qui incarnait la droiture des alliés face au grand méchant nazi (le fameux message), par exemple, avec l’évolution de la société, les fictions aussi se sont adaptées. Merci de nous inclure du gris ! Pourtant, il est vrai, la fantasy reste largement binaire. Pourquoi ? Parce que c’est son principe. Elle exagère nos traits de société, si cachés et si pernicieux, pour les rendre évidents et faciles à critiquer. Mais est-ce qu’on ne pourrait pas être un chouille plus subtile ? N’allez pas me dire que Harry Potter a un sous-texte. Harry Potter a des lettres capitales qui nous hurlent que les moldus et les sangs de bourbe ont le droit de vivre, eux aussi. Je dirais donc que selon moi, les arguments anti-fantasy ne tombent pas de nulle part. Ils ne sont pas une vision de boomer pour qui « c’était mieux avant », avec la vraie littérature, quand les gens savaient encore écrire. Mais on peut toujours les mettre en perspective.

Alors, qui gagne ?

En tant qu’amatrice de bons romans fantasy, j’essaie quand même de garder un oeil objectif, et quand je le fais, malheureusement, je constate deux choses :

Les romans fantasy sont sous-cotés par les entités du monde littéraire

De par l’histoire de la littérature, réservée pendant longtemps à l’élite, sélective, le milieu littéraire est encore très fermé à ce genre. Ce n’est qu’avec les grands succès extérieurs au monde du livre (j’invoque : « The Witcher » !) que certaines oeuvres ont réussi à se faire connaître. Et là encore, on les qualifie peu de juste « fantasy » parce que le mot a encore une connotation négative. Alors, les oeuvres « juste fantasy », elles, restent moins mises en valeur et par là même, les gens les découvrent moins facilement. Pire, les libraires frileux au genre préfèrent se cantonner à trois gros titres phares plutôt que de prendre le risque de donner leur chance à des oeuvres plus petites.
Donc on n’aime pas les romans fantasy parce qu’on les connaît mal. Les bijoux sont parfois éclipsés par les plus grands auteurs de littérature générale (sachez que les budgets publicité d’une oeuvre de fantasy sont généralement 5 fois moins élevés qu’en blanche), et on estime qu’un roman fantasy qui se vend à 90 000 exemplaires a fait un magnifique score, alors que les chiffres sont bien différents en générale : certains Musso, qui fait pourtant des fois appel à du fantastique, rappelons-le, mais est classé en générale, peuvent monter à 400 000 sur une année. Une injustice qui se comprend, mais qui fait mal. Et du coup ? La faute aux autres ? Pas que.

Les oeuvres sont surcotées par les fans

Les arguments pro-fantasy qui la défendent becs et ongles sont vrais. Mais nuance : je trouve que la fantasy s’appuie beaucoup trop sur ce monde merveilleux et a tendance à se montrer paresseuse, parfois, sur le fond et la forme.
L’évasion est importante. Cela dit, inventer un monde avec des principes ouffissimes et des noms badass, ce n’est pas si compliqué. Je peux vous inventer une légende en même temps que je vous parle. Bien sûr, le worldbuilding ne s’arrête pas là, c’est complexe et il faut rendre le tout cohérent. Mais ce que je veux dire, c’est que l’imagination ne fait pas un bon livre fantasy. J’ai trop lu de livres, récemment Les Seigneurs de Bohen d’Estelle Faye, où on dirait que le simple univers devrait nous enchanter et nous faire oublier pourquoi on est là. Spoiler : ce n’est pas le cas. L’évasion de la fantasy ne fait pas tout. Quant aux messages, s’ils sont qu’être raciste, c’est mal, et que la vengeance n’apporte rien, j’estime qu’on m’a flouée. Franchement, je le savais. Justement parce que tout a déjà été dit et que la fantasy se fait un devoir de nous transmettre des valeurs. Le sentiment « j’en ai lu un, je les ai tous lus », c’est un peu dommage.

Ce qu'il manque aux romans fantasy

Plus d’oeuvres avec une vraie profondeur, qui ne se reposent pas sur le merveilleux pour apporter quelque chose. Si on compare une oeuvre dans un monde réaliste et une en fantasy, la grande différence, c’est que si l’on enlève le manteau de l’univers aux deux, trop souvent, dans un roman fantasy, il ne reste plus rien, ou trop peu, un petit kiki, réduit par le froid. L’intrigue tangue. Les personnages sont fades. Il me manque ce que l’on se doit d’ajouter dans un roman de littérature générale au risque d’écrire un livre inintéressant : une raison de lire l’histoire.

Pour finir, je dirais que j’aimerais aussi voir des oeuvres fantasy qui tentent une nouvelle approche. On l’a dit la fantasy, c’est un déguisement pour notre société. Et notre société évolue. Des choses auxquelles on ne pensait pas nous bouleversent aujourd’hui (l’éducation des enfants, le développement personnel, l’évolution des relations), certains thèmes qui sont souvent réservés à la science-fiction, avec l’idée que ce genre-là s’y prête mieux, puisque porté vers l’avenir. Je ne vois pas pourquoi. Je suis persuadée qu’un roman fantasy aussi devrait nous apporter ces nouvelles réflexions.

Parce que c’est là son plus bel atout.